Le « matrimoine » est un terrain d’exploration fécond pour le féminisme, et encore une fois le domaine de la musique classique est un terrain intéressant lorsque l’on dépoussière les archives. On réalise ainsi que l’Opéra de Paris, domaine au combien sélectif qui fête des 350 ans et creuset artistique qui aura tellement d’imitateurs n’a pas hésité à laisser en 1736 9 levers de rideaux pour la création d’une jeune compositrice du 18 ans, la mystérieuse Mlle Duval (et ce n’était pas la première femme à composer un opéra sur cette scène !). Il existe un vaste travail qui retrouve des milliers de noms de compositrices qui ont croisé les institutions, sans compter celles qui profitaient des nombreux théâtres privés bien moins couvert par la presse et les archives pour faire valoir leurs partitions ou les paroles de leurs livrets.
Il existe en tout état de cause une vraie démarche militante, à l’instar du Centre de Documentation pour la musique contemporaine, qui vient de faire paraître Compositrices l’égalité en actes , avec un état des lieux, et le portrait de 53 compositrices bien vivantes et actives. Parmi elles, de nombreuses femmes qui ont voyagé pour se construire le parcours et pour certaines d’entre elles s’installer en France, parfois entre deux cultures. A côté des françaises Michele Reverdy (née à Alexandrie), Florentine Mulsant née à Dakar, Graciane Finzi née à, Casablanca et les compositrices motrices que sont Sofia Guvbaidulina, Kaija Saariaho, Unsuk Chin, Olga Neuwirth ou Rebecca Saunders, de nombreux portraits de femmes de Misato Mochizuki à Giorgia Siropoulos, Caroline Marçot, Xu Yi ou Agata Zubel qui montrent toutes la variété de composer aujourd’hu, et d’être en lien avec ce centre de documentation situé aux côtés de la Philharmonie de Paris.
L’ouvrage est aussi une façon de problématiser cette question de genre, même si certaines créatrices ne souhaitent pas insister sur cette qualité pour être programmées. Parmi, toutes ces lectures, citons tout de même une piste radicale, qui a l’avantage de décadrer ce problème.
L’ouvrage est aussi une façon de problématiser cette question de genre, même si certaines créatrices ne souhaitent pas insister sur cette qualité pour être programmées. Parmi, toutes ces lectures, citons tout de même une piste radicale, qui a l’avantage de décadrer ce problème.
Il est commode de voir habituellement la musique classique comme une queue de peloton de la féminisation des arts, le domaine où l’on trouve le moins de femmes à la tête d’institution ou dont on joue les partitions. L’angle d’attaque le plus fort consiste à montrer qu’il y a plus de femmes compositrices actives (10%) environ que de femmes compositrices jouées de 1 à 4/5%). Le monde de la musique classique, et de la composition serait ainsi un monde par essence machiste qui ne se féminise que trop lentement.
Certaines remarques montrent qu’il y a eu des femmes dans le passé, mais trop vite oubliées, et que leur statut a été presque meilleur à certaines périodes que lors d’autres périodes récentes. Une première réponse est stratégique : il ne suffit pas d’être jouées mais encore faut-il durer ou construire sa postérité.
Or des études musicologiques venues des pays baltes et plus précisément de Lituanie montrent un visage bien différent. La Lituanie est considérée comme un territoire qui historiquement a le plus résisté à des questions d’évangélisation et de christianisation, en tant que territoire reculé, au nord, un peu en marge des centres d’intérêts. Par de nombreux aspects, le Pays conserve des traits de ce que l’on considère comme l’héritage païen, dit pré chrétien européen. Or, d’après les musicologues et ethnologues, cette culture donnait une place très importante aux femmes, notamment dans les rites qui utilisent la musique et la danse. Les femmes, et notamment les doyennes pilotaient ces rites qui reposent sur des créations improvisations vocales et des rythmes martelés avec les pieds, qui rappellent aussi bien les danses africaines que le chamanisme ou les danses du Sacre du Printemps de Stravinsky. Les femmes se transmettaient ce savoir avec une meneuse, qui commençait seule, et indiquait quand le chant et la danse devait finir. Cette tradition persiste à travers les chants traditionnels des Sutartinés lituaniennes que l’on appelle aussi le chant des sorcières. Et là aussi se trouve la clé. Il semble bien que le christianisme s’est livré pendant des siècle à une chasse systématique ou pseudo génocide pour poursuivre toutes ces femmes gardiennes de savoir qui assuraient la transmission de ces rites. Vita Gruodyté dans le recueil qui paraît évoquele chiffre de 8 millions de femmes ainsi assassinées au cours du Moyen-âge en Europe !
Vu ainsi, les perspectives sont ainsi très différentes, et il est vrai que l’Eglise aura toujours eu du mal avec les femmes. Voltaire s’était ému que la très grande cantatrice Adrienne Lecouvreur n’ait pas droit à une sépulture à sa mort, au point d’organiser une récupération de sa dépouille de nuit, jetée en fosse commune), car artiste (donc excommuniée – et il faudra certains enterrements ou la foule force les portes des églises pour que disparaisse cette pratique, très parisienne). Disons que la terre Européenne a été, de loin une grande terre créatrice, y compris et grâce aux femmes, et de fortes volontés contraires ont tenté d’empêcher ou infléchir ce mouvement. La soupape se lève heureusement aujourd’hui. Toutes ses braises ne sont heureusement pas éteintes. Voilà tout de même un angle intéressant et lointain de se souvenir de la richesse créatrice qu’ont eu ces femmes, par ici avec un héritage, ancestrale peut-on dire et ethnique, qui se dépoussière de carcans sociétaux qui ont essayé de s’imposer par certaines certaines périodes…
TS.
Références :
Compositrices, l’égalité en actes, direction éditoriale LM Berlioz, O Corlaix, B Gallet, Préface de Françoise Nyssen, édition CDMC, Editions MF, collection Paroles, 2019, 21 euros