Aminata Aïdara est une écrivaine, journaliste et chroniqueuse, dont le premier roman « Je suis quelqu’un » (voir le compte-rendu par ailleurs) explore les territoires entre Italie, France et Afrique autour des questions de l’identité, et cette soif incessante de chercher à savoir d’où l’on vient. Rencontre à l’occasion de sa résidence 2019 en Savoie.

Notre rencontre en Pays de Savoie s’est faite à Chambéry où officie bientôt le Festival du Premier Roman. Est-ce une coïncidence ?
Je pense qu’il s’agit d’une coïncidence, car j’étais à Chambéry pour participer à une rencontre avec une autre écrivaine, rencontre modérée par la coordonnatrice vie littéraire de la Facim. Je ne suis pas invitée à cette édition du Festival du Premier Roman.

Vous êtes en résidence avec la FACIM, pouvez-vous nous en dire davantage ? Quel est le déroulement (travaillez-vous avec des enfants, sur la transmission ?), quel sera le résultat ?

Je suis invitée, comme vous l’avez dit, par cette fondation, qui m’offre trois mois de résidence au Château des Allues, dans le village de Saint-Pierre-d’Albigny, où je peux me consacrer à l’écriture de mon prochain roman. Je suis également conviée à des rencontres littéraires en Savoie et Haute -Savoie et j’anime un atelier artistique, d’écriture créative, auprès d’une classe de seconde dans le lycée Jean Moulin d’Albertville. C’est une très belle expérience ! Nous avons travaillé « L’attrape-cœurs » de Salinger : les élèves ont réécrit des extraits de ce roman culte en s’appropriant le protagoniste et en inventant d’autres personnages qu’ils ont plongé dans un contexte français contemporain. Les extraits vont bientôt être incarnés par la classe entière dans une
représentation vivante. Et tout ce travail sortira en livret et en captation vidéo.

Vous écrivez en français et vous avez des racines italiennes. Connaissez-vous ce territoire frontière ?
Signifie-t-il quelque chose de particulier ou est-ce un territoire comme un autre…Ma langue maternelle est l’italien, mais je parle français depuis mon enfance, puisque le côté paternel de ma famille est sénégalais. La frontière existe, et je l’habite. Elle est dans les doutes et dans la volonté de justesse que des écrivains bilingues, comme moi, vivent au quotidien : je passe toujours d’une langue à l’autre, que ça soit dans mon journal intime, dans mes pensées ou dans les conversations avec mes différents interlocuteurs. Les langues
sont des territoires intéressants et inépuisables. Qui permettent de ne jamais se figer.

Votre roman « Je suis quelqu’un » explore la notion de filiation et de famille et cela semble résonner avec des questionnements personnels. Quel rapport d’écrivain donnez-vous ainsi à des rencontres avec a priori des inconnus ?
Les rencontres sont toujours très enrichissantes. Je découvre une multitude de points de vue que j’ignorais et qui m’apprennent des choses sur mon roman et ses personnages. Certainement beaucoup de lecteurs et lectrices se posent des questions sur le côté autobiographique de mon œuvre. Ce n’est pas gênant, et plutôt normal et prévisible. C’est l’histoire d’une famille entre la France, le Sénégal et dans une moindre mesure l’Italie ; une des protagonistes est une jeune femme vivant à Paris et cela suffit à faire des parallèles. Ceci dit, je m’inspire juste des lieux et contextes que j’ai pu habiter, mais j’invente des histoires, des personnes et des conversations. Je les place là où je peux les ancrer à un univers matériel préexistant.

Selon vous, le territoire de Savoie entretient-il un rapport particulier aux femmes ?
Les femmes du lieu avec qui je rentre en contact sont soit des bibliothécaires, soit des lectrices, soit les commerçantes du village de Saint-Pierre-d’Albigny (la fromagère, la bouchère, la boulangère). Je n’ai pas de ressenti différent par rapport à d’autres endroits de France où j’ai pu séjourner.


Accordez-vous une importance au dialogue avec d’autres auteurs et artistes (en général, et peut-être à l’occasion de rencontres comme celles-ci) ?
Oui, j’aime rencontrer des personnes qui ont des choses à dire, et même des silences à partager. Je ne fais pas de différences entre ceux qu’on appelle « les artistes » ou « les auteurs » et les autres personnes, dans ma trajectoire de socialisation. Je pense d’ailleurs que l’œuvre peut parfois être plus communicative que la personne qui l’a créée.

Au-delà de précédents auteurs en résidence avec la FACIM, il existe un certain nombre d’événements en Savoie qui s’intéressent à l’Afrique ou aux Caraïbes…
Oui, j’en suis surprise. La vie de cette région m’était jusqu’à aujourd’hui assez inconnue, et je suis ravie de découvrir
un ferment événementiel autour des cultures Afrodiasporiques.

Vu de France, les politiques récentes de l’Italie semblent assez inquiétantes pour certains humanistes, avez-vous un avis ?
Je pense qu’il s’agit d’inquiétudes tout à fait normales. C’est ne pas en avoir qui serait d’une naïveté exagérée, car il y a de quoi s’inquiéter ! J’ai l’impression que l’évolution vertigineuse de la société italienne en est la preuve. Mais ce n’est qu’une manifestation éclatante d’un phénomène, hélas, bien plus ample. Européen, Mondial. La France n’y
échappe pas non plus.

Votre roman parle de voyages et d’identités liées ou écartées entre différents lieux. Comment vivez-vous cela vous-même ?
Oui, je me sens assez nomade, disons que j’aime me donner la possibilité de changer de lieu, de métier, d’habitation. Je ne sais pas si ce sont mes différentes pérégrinations qui m’ont donné le goût du changement ou la propension innée à bouger qui a façonnée ma vie. Mais certainement j’essaie d’appliquer ce principe à tout ce qui
se prête à être figé par des théories, notamment identitaires. Je n’aime pas le mot « ethnique » par exemple, car cela renvoie pour moi à une exotisation des personnes non-blanches en Europe, à l’instar des produits alimentaires ou des vêtements et objets de décoration ainsi définis. Vous voyez, je suis toujours dans un décentrement des points
de vue, j’aime considérer plusieurs prismes en même temps. Pour cela aussi je crée beaucoup de personnages.


L’identité c’est un mouvement perpétuel. La vie est une recherche constante. L’écriture, également, est pour moi un terrain de recherche et questionnement incessant. Travaillez-vous déjà sur un autre projet ? Est-il possible d’en savoir davantage ?
Oui, je travaille actuellement à la suite du roman « Je suis quelqu’un » et j’ai aussi un projet de recueil de nouvelles.