Mazaya est un projet porté par la fondation Tenor pour la culture né en 2012 avec d’autres partenaires qui consiste en un enseignement musical et scolaire apporté à 70 jeunes enfants pour lutter contre la déscolarisation et apporter des perspectives positives à des enfants. C’est un projet qui prend sa place au sein d’un projet culturel plus vaste, associé à l’Orchestre Philharmonique du Maroc ou l’Ecole de musique de Rabbat.
Entretien
avec Dina Bensaïd, pianiste concertiste, diplômée du CNSM de
Paris, directrice artistique de la Fondation Tenor pour la Culture et
marraine du projet.
Comment est né ce projet ?
Le programme Mazaya a été créé par la Fondation Ténor pour la Culture, qui œuvre depuis de nombreuses années dans le domaine de la musique classique au Maroc. Le constat du fort taux d’abandon scolaire a poussé la Fondation à crée ce programme social pour parler à ce fléau.
Quel programme est proposé aux enfants dans le cadre de Mazaya ?
Chaque matin, un bus fait le tour de la ville de Rabat et de sa région, pour récupérer les 70 enfants, âgés entre 10 et 20 ans, bénéficiaires du programme. Leurs matinées se composent de cours d’instrument, de formation musicale, ou de musique de chambre, alors que l’après midi est dédiée à la formation musicale, aux cours de langues, mathématiques et éducation civiques. Ces enfants étant en situation de déscolarisation avant leur intégration du programme Mazaya, nous nous efforçons de palier également à leur manque d’éducation scolaire primaire.
La philosophie du projet semble proche des projets en Amérique du Sud qui veut agir dans les favelas. Etes-vous inspirés par cette expérience ?
L’idée est effectivement inspirée d’El Sistema, bien qu’au Venezuela, les élèves sont par ailleurs scolarisés, ce qui fait de la population cible, une population un minimum éduquée et formée. Mazaya se doit, en plus de la formation musicale et instrumentale, de palier également à leur manque d’éducation scolaire. Bien que nous soyons philosophiquement très proche d’El Sistema, nous n’avons pas de lien avec l’institution
Quel est le lien entre Mazaya et les musiciens de l’Orchestre Philharmonique du Maroc ?
Le lien entre Mazaya et l’Orchestre Philharmonique du Maroc (OPM) est très étroit. En effet, les musiciens de l’OPM constituent la quasi totalité des enseignants du programme Mazaya. Grace à une collaboration entre les deux institutions, les enfants Mazaya profitent de l’OPM sous différentes manières : ils ont la possibilité d’assister aux concerts et répétitions de l’OPM, certains enfants sont invités à jouer à l’occasion des concerts de l’Orchestre, où à participer aux répétitions de l’Orchestre pour se former au mieux à leur futur métier. Mazaya, comme l’Orchestre Philharmonique du Maroc sont gérés par la Fondation Ténor pour la Culture, qui œuvre pour une synergie entre ces différents programmes.
Quel
est l’objectif de ces jeunes ? Intègrent ils un parcours
d’Ecole de musique ?
Mazaya
est un parcours professionnalisant qui concerne tous les instruments
de l’orchestre. Ils n’ont pas besoin d’intégrer une école de
musique, d’ailleurs le niveau de Mazaya est bien plus élevé que
les Conservatoires Nationaux ou les écoles de musiques privées. A
la fin de leur formation, ils sont prêts à intégrer un orchestre
professionnel, et profiter d’une insertion socioprofessionnelle par
le biais de la musique classique
Y a t il des enfants qui arrêtent le parcours ou d’autres qui rejoignent le programme ?
Oui, il y a forcément un petit taux de déperdition au cours de la formation. Les enfants qui abandonnent le programme sont remplacés par de nouvelles recrues d’année en année de façon à ce qu’ils soient en permanence 70 enfants.
Quel est le regard des familles ?
Notre action est effectivement une action à 360°. Si nous prenons en charge leur formation, nous nous occupons également de leurs repas, santé, hygiène, et intervenons très régulièrement auprès des familles pour les sensibilisés à différentes questions. Malheureusement le soutien des familles est à quelques exceptions près, très faibles. Les parents, sont très souvent absents, et absorbés par leurs problèmes quotidiens.
Les photos montrent beaucoup de garçons, peu de filles, alors que la musique est un art mixte, comment gérez vous cet aspect ?
Nous avons effectivement plus de garçons que de filles, mais il y en a tout de même quelques une (parmi elles, les meilleurs éléments d’ailleurs). Nous n’avons pas de problème particulier quant à la gestion de la mixité au sein de notre établissement. Les garçons, comme les filles, sont gérés de manière semblable, tout en leur apprenant le respect des uns et des autres.
Il existe un système de parrainage des enfants. Comment fonctionne-t-il ? Est-il nécessaire ?
Il existe et il est vital. En effet, des particuliers, tout comme des entreprises, peuvent parrainer mensuellement un enfant à la hauteur de leur moyens. Leur cotisation mensuelle est entièrement dédiée à un enfant, et participe à la prise en charge complète de ce dernier (de ses frais de cantines, à sa formation musicale, en passant par ses frais médicaux).
Vous êtes directrice artistique au sein de la fondation qui mène beaucoup de projets. Quel est votre regard, sachant qu’il y a peu de femmes en général dans le domaine de la musique classique ?
Il y a effectivement moins de femmes que d’hommes dans ce milieu, mais ce n’est pas pour moi un point sur lequel je m’arrête. La Fondation Ténor pour la Culture gère, différents projets dans la musique classique, dans un pays où il y a beaucoup à faire. Le programme Mazaya est forcément mon projet fétiche, car il est porteur de sens et marque notre engagement fort dans la musique et la société. Nous faisons de notre art un levier contre la délinquance, la misère et l’exclusion, donnant encore plus de sens à la musique.
Est-il facile de mener de front beaucoup de projets culturels ou certains s’imposent-ils plus que d’autre ?
Il n’est déjà pas facile de mener de front mon métier de pianiste concertiste avec celui de directrice générale de la Fondation Ténor pour la Culture. En ce qui concerne les différents projets culturels de la Fondation, finalement, ils se nourrissent les uns des autres, et nous permettent d’agir de façon complète sur le paysage culturel marocain.
Quel est votre regard sur l’action culturelle et la transmission ?
La transmission en est effectivement un axe fort à travers Mazaya et l’Ecole Internationale de Musique et de Danse, mais est également quelque chose qui nous porte au sein de l’Orchestre Philharmonique du Maroc, ou du Chœur Philharmonique du Maroc, puisque nos musiciens et choristes sont en perpétuelle formation.
Cette transmission touche aussi notre relation avec le public, puisque nous avons mis en place différentes actions de médiation et de formation du public, à travers des ateliers de préparations à l’écoute, des concerts commentés, ou autres concerts scolaires dédiés aux jeunes.
Comment voyez-vous évoluer au Maroc ces projets culturels ?
Il y a tout à faire au Maroc en terme de culture. Nous attendons avec impatience l’arrivée des théâtres de Casablanca et Rabat qui nous donnerons, on l’espère, une scène à la hauteur du travail quotidien des musiciens et des équipes de la Fondations. Nous avons des idées et des envies plein la tête, et avons hâte d’avoir un lieu d’expression adapté.
Quels
sont vos souhaits pour le futur ?
Le
nerf de la guerre reste malheureusement l’argent. Nous avons des
ambitions pour notre pays, mais nous sommes freinés par nos moyen
financiers. Certes, nous avons quelques subventions et sponsorings,
mais nous avons besoin de plus de soutien de d’engagement afin de
continuer à offrir un travail de qualité. Il est parfois difficile
de déplacer les gens au concert et de leur faire acheter une place,
alors que c’est le premier engagement et premier soutien donc nous
avons besoin. Ce que je souhaite donc, c’est de fédérer encore
plus de monde autour de la Fondation Ténor pour la Culture, que
l’état et les entreprises privés s’engageant à nos côtés,
dans la durée, pour continuer à donner du Maroc cette image
d’excellence, de culture, d’ouverture et de modernité.