Les français et l’élection présidentielle 2022

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Les français et l’élection présidentielle 2022. Comment les Français se sont-ils informés pendant la campagne électorale ? Quelles sont les pratiques qui favorisent le développement de désinformation ? Comment les algorithmes tendent à remplacer les journalistes dans la hiérarchisation de l’information ? Tels sont les questions auxquelles l’enquête Ifop * pour la Fondation Reboot dédiée à la promotion de l’esprit critique tentent de répondre.

Les français et l’élection présidentielle 2022 : internet

L’institut a d’abord cherché à identifier les évolutions des modes de consommation d’information à l’occasion de l’élection présidentielle 2022, et l’impact de la montée d’Internet, des médias sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram et des outils de conversation type Whatsapp dans la diffusion des thèses complotistes. Cette enquête révèle notamment qu’Internet est devenu la première source d’information pour les jeunes et la deuxième pour tous les Français avec un triplement de son impact dans le quotidien de l’information depuis 2009.

Ensuite, l’Ifop confirme également que les « bulles informationnelles » déjà documentées dans de précédentes études de la Fondation Reboot poursuivent leur développement et qu’elles sont encore plus prégnantes dans les sphères complotistes. Enfin, alors que le premier volet de l’Observatoire avait souligné un taux de pénétration élevé des thèses du Kremlin en France (via notamment l’usage des outils numériques), ce nouveau volet souligne la défiance d’une partie de Français vis-à-vis de du processus électoral en cours, 14% croyant à l’existence d’un vote truqué, un taux qui atteint 30% chez les électeurs de Marine Le Pen.

Favoriser la désinformation en propageant les fake news en France

L’intérêt de l’enquête IFOP est de mettre en perspective les opinions et les pratiques informationnelles des Français avec différentes variables sociodémographiques. Cela permet d’éviter de tomber dans des explications simplistes et ainsi d’appréhender avec plus de finesse les ressorts de nombreux troubles informationnels qui sévissent actuellement dans l’espace public français.

Plusieurs résultats de l’enquête IFOP font échos à de nombreuses recherches issues de la littérature académique américaine sur la désinformation. Par exemple, alors que les électeurs d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen sont les plus nombreux à adhérer à l’idée selon laquelle les résultats des élections présidentielles de 2022 pourraient être truqués, les internautes situés aux extrêmes de l’échiquier politique sont responsable de la majorité des fake news partagées sur les réseaux sociaux aux États-Unis (Grinberg2019;  Guess et al., 2019Osmundsen et al., 2020).

Dans le contexte français, différents éléments concourent à expliquer cette porosité entre idéologie et adhésion à des énoncés infondés. Alors que la confiance des publics dans les médias a drastiquement baissé en France (Newman et al., 2019), il est possible que les individus les plus distants des partis politiques traditionnels cherchent à court-circuiter les discours médiatiques et institutionnels en faisant leurs propres recherches sur les réseaux sociaux ou allant puiser auprès de sources alternatives corroborant leur point de vue (Berriche, 2021).

Restons vigileant(e)s face à la consommation des informations web

Au-delà des ressorts idéologiques à l’origine des troubles informationnels, il est important de souligner d’autres mécanismes susceptibles de rendre les publics moins vigilants face aux informations qu’ils consomment. Bien que la télévision reste le principal support utilisé par les individus pour s’informer (Allen et al., 2020 ; Dejean et al., 2021), le développement des réseaux sociaux, ces dernières années, a bouleversé les modes de consommation et d’accès à l’information chez tous les publics, notamment chez les plus jeunes. En fait, de nombreux réseaux sociaux et applications de messagerie comme Facebook, TikTok ou WhatsApp sont avant tout utilisés par les individus pour interagir avec leurs amis. Plutôt que de partager des informations fiables et vérifiées, via ces applications, les internautes privilégient plutôt la diffusion de contenus susceptibles de renforcer leurs liens de sociabilité avec leurs proches. Dès lors, on peut se demander comment ces internautes réagissent lorsqu’ils tombent malgré tout sur des informations relatives à l’actualité politique au milieu de “mèmes humoristiques”, de faits divers sur des célébrités ou de photos de leurs amis (Boczkowski et al., 2018) ? Comme le montrent les résultats de l’enquête IFOP, peu d’internautes vont prendre le temps de vérifier l’information ou de la lire attentivement avant de la partager à un de leur contact. Par manque d’attention ou d’esprit critique (Pennycook & Rand, 2019 ; 2021), de nombreux internautes sont ainsi susceptibles de ne pas adopter de bons réflexes pour évaluer la qualité des informations en ligne. 

L’enjeu pour les pouvoirs publics est donc à la fois de mieux réguler ces plateformes qui ont envahi le quotidien des jeunes populations notamment mais aussi de renforcer ce travail d’éducation aux médias et surtout au raisonnement critique. Cela passe notamment par un travail de fond matière par matière pour permettre aux professeurs de l’Education nationale de mieux préparer nos enfants à exercer leur esprit critique à travers des cas concrets.”

Le complotisme en France et internet

Dans un contexte de révolution des habitudes de consommation médias, le complotisme profite d’une polarisation des pratiques informatiques chez les Français

La façon dont les Français s’informent a profondément évolué en 15 ans, marquant avant tout une explosion d’internet comme source principale d’information : 31% des Français citent cette source d’information en matière politique comme la plus fréquente contre seulement 11% en 2009, dépassant ainsi la radio (14% contre 21% en 2009) qui demeure toujours la 3e source d’information politique des Français. La télévision, avec la multiplication de l’offre informative, demeure la principale source d’information pour plus de quatre Français sur dix (42%, contre 49% en 2009). La presse écrite connait elle aussi un net recul mais reste marginale en tant que source d’information la plus fréquente en matière politique (5% citent la presse écrite nationale et 4% la presse écrite régionale contre respectivement 8% en 2009).

Dans un contexte de révolution des habitudes de consommation médias, le complotisme profite d’une polarisation des pratiques informatiques chez les FrançaisLa façon dont les Français s’informent a profondément évolué en 15 ans, marquant avant tout une explosion d’internet comme source principale d’information : 31% des Français citent cette source d’information en matière politique comme la plus fréquente contre seulement 11% en 2009, dépassant ainsi la radio (14% contre 21% en 2009) qui demeure toujours la 3e source d’information politique des Français. La télévision, avec la multiplication de l’offre informative, demeure la principale source d’information pour plus de quatre Français sur dix (42%, contre 49% en 2009). La presse écrite connait elle aussi un net recul mais reste marginale en tant que source d’information la plus fréquente en matière politique (5% citent la presse écrite nationale et 4% la presse écrite régionale contre respectivement 8% en 2009).

Les médias les plus utilisés pour s’informer en matière de politique

internet, les réseaux sociaux et les comportements des français

Ces changements dans les pratiques de consommation s’accompagnent surtout d’une polarisation des pratiques ouvrant une fracture générationnelle.

Sans surprise, les jeunes ont largement délaissé la télévision (à peine un quart des jeunes de 18 à 34 ans la citent comme source d’information politique la plus fréquente) pour se concentrer très largement sur internet (64% des jeunes de 18 à 24 ans et 52% des jeunes de 25 à 34 ans), tout en délaissant également la presse écrite nationale (2% de plus jeunes l’utilisent le plus souvent contre 16% des 65 ans et plus). 

comment les réseaux sociaux diffusent le complotisme dans l’esprit des Français

Enfin, l’enquête montre la perméabilité des utilisateurs des réseaux sociaux aux théories complotistes. Parmi les Français pour qui les moyens d’information liés à internet sont déterminants en matière politique, le degré de croyance dans des théories complotistes est particulièrement élevée.

Ainsi, seuls 10% des Français jugent déterminants les réseaux sociaux dans leur façon de s’informer mais ce chiffre atteint 22% parmi les personnes « très complotistes ». Ces dernières s’informent plus largement que la moyenne via les sites internet de la presse écrite (23% contre 17% dans l’ensemble) ou encore via les médias uniquement présents sur internet (22% contre 13% dans l’ensemble). Toutefois, il est intéressant de noter que les canaux traditionnels tels que les JT d’information des grandes chaines ou les JT des radios ne « protègent » pas contre les tendances complotistes, on retrouve en effet des pratiques similaires selon que les personnes intéressées soient très ou pas du tout complotistes.        

 Le rôle de chacun des moyens d’information dans la façon de s’informer

Ainsi, la Fondation Reboot constate avec inquiétude que les Français manquent d’éducation à ces nouveaux outils numériques et qu’ils favorisent eux-mêmes le développement de la désinformation par comportements inadaptés : un tiers des Français commentent ainsi des articles qu’ils n’ont pas lu et plus de 42% les transfèrent à des proches sans les avoir lus non plus.

Le point de vue de Manon Berriche, chercheuse au Medialab de SciencesPo Paris et experte-associée de la Fondation Reboot



Le phénomène complotiste se caractérise par une tendance plus forte qu’au sein des autres catégories de la population à s’auto-entretenir, notamment par des pratiques de consommation médias qui enferment dans une réalité parallèle. Ainsi, 37% des personnes « très complotistes » affirment que les médias qu’ils utilisent sont plutôt des médias qui partagent leur point de vue, contre 26% en moyenne et 24% parmi les personnes non complotistes. 

LES MAUVAISES HABITUDES SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Problème plus large que le seul complotisme, l’utilisation d’internet révèle l’importance des mauvaises habitudes sur les réseaux sociaux et donc la perméabilité aux thèses complotistes diffusées via une mauvaise pratique des outils internet. Ainsi, 30% des Français affirment avoir déjà réagi ou commenté un post sans en avoir vraiment lu le contenu voire même 42% ayant déjà transféré des articles ou vidéos à l’actualité politique sans en avoir vraiment vérifié la fiabilité. Ce dernier taux atteignant même 47% au sein de l’électorat de la droite radicale et 55% parmi ceux de la gauche radicale.  

Une élection présidentielle truquée : l’information en ligne favorise la croyance dans l’hypothèse des fraudes électorales

Plus d’un Français sur dix (14%) croient au fait que l’élection présidentielle va « être truquée », dont près d’un tiers des électeurs de la droite nationale (29% des électeurs d’Eric Zemmour et 30% de ceux de Marine Le Pen). Cette défiance manifeste vis-à-vis du processus électoral est deux fois plus forte que la moyenne chez les Français s’informant principalement via Internet (24%, contre 8% via la presse écrite et 3% la radio) et chez ceux croyants dans les théories du complot (25%). L’ADHÉSION A L’IDÉE SELON LAQUELLE L’ÉLECTION PRESIDENTIELLE VA ETRE TRUQUÉE 

Autre signe de la fébrilité des Français quant à la probité du système électoral, 48% des personnes interrogées estiment qu’il est possible de truquer l’élection présidentielle. Cette inquiétude s’exprime en particulier au sein d’électorats actuellement écartés du pouvoir, comme les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (54%), ceux d’Eric Zemmour (68%) et ceux de Marine Le Pen (70%), mais également au sein d’électorats mis en minorité dans la course à l’élection présidentielle : 42% des électeurs de Valérie Pécresse partagent cette crainte d’une fraude électorale.

* Étude Ifop pour la Fondation Reboot réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 4 au 8 mars 2022 auprès de 2 007 personnes représentatif de la population âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine et par téléphone du 9 au 10 mars 2022 auprès d’un échantillon de 2 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. »